dimanche 13 octobre 2013

Appartement à louer

(Kiadó lakás)
extrait de Ciel et terre, d'après la traduction allemande d'Ernö Zeltner

Je passe devant notre maison de Kassa et je vois à une fenêtre du rez-de-chaussée l’avis manuscrit « Appartement à louer ». Le concierge me conduit au premier étage, il a toutes les clés. Oui, dit-il, l’appartement est vide, il est à louer, et il ouvre la porte sur la grande salle à manger.
Quand nous en étions partis, la maison où j’avais passé mon enfance avait été vendue aux enchères et un ramoneur avait emménagé dans l’habitation. Lui-même se servait des pièces du bâtiment sur le jardin et désirait louer les beaux locaux d’habitation. Sans un mot je regardais autour. Ici c’était la salle à manger, la partie la plus haute, avec des colonnes et des arcs, d’où un escalier conduisait dans la grande salle basse marron, où se trouvait le poêle de faïence. De là on pénétrait dans la pièce sombre, la chambre à coucher du père, cette grotte secrète, un genre de caverne de chef indien avec des dessins de buffles sur les murs, puis la grande pièce sur la rue avec les murs à arcades, le beau sol et les niches noblement arquées dans le mur pour la bibliothèque. Tout cela est maintenant vide et serait à louer. Je regardais intéressé autour de moi, le chapeau et les gants dans la main gauche, et posais quelques questions factuelles au concierge.
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Je réfléchis : « Voudrais-je réellement vivre une nouvelle fois dans cette maison ? » Et une voix répond en moi d’un cri aigu : « Non » Je pense encore : « Était-ce bien ici, l’enfance et tout ce qui y était attaché ; ai-je la nostalgie du retour ? »
La voix répond d’un ton catégorique : « Non. » Et nous nous tenons ainsi au milieu de l’appartement, contemplons les murs vides. Et puis nous voyons aussi la cuisine. Elle est grande et vide, réclame le respect, les murs sont carrelés ; sur le fourneau on cuisinait pour des gens d’un autre monde. La pièce de la domestique aussi est spacieuse, claire et seigneuriale. La vie qui se passait entre ces murs, convenait aux exigences d’un autre genre de bourgeoisie, pour un autre genre de paix. J’apprends que le ramoneur qui aujourd’hui divise la maison, s’est fait pour lui une nouvelle cuisine de la chambre des enfants.
Oui tout cela est passé, est étranger. Et pourtant je ne peux pas simplement passer mon chemin. Je suis dans cette pièce, sans fausse sentimentalité avec la vigilance d’un chercheur et me penche sur les traces du plan d’un monde disparu. Ici il y avait la grande armoire, ici le piano et ici le sofa, le visiteur s’asseyait douillettement et confortablement dans son giron, « comme dans le giron de l’impératrice douairière de Chine » – disait-on dans notre jargon familial. Et la tache là au-dessus du lavabo dans la chambre du père montrait encore les contours d’un miroir qu’il utilisait pour se raser. D’un coup cette tache bouleverse tout, m’effraie – soudain je ne comprends plus tout ça, je considère presque en frissonnant ces murs et ces pierres, qui ont survécu à la chute. « Non, je ne désire pas prendre l’appartement » – dis-je au concierge – « il est un peu trop sombre pour moi. » Et je m’en vais rapidement.
Extrait de "Ciel et terre" d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

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