dimanche 7 octobre 2012

Maturation

Je suis dans les dernières lignes du livre qui huit mois durant a rempli ma vie[1], jour et nuit. Arrivé à un moment où on en a assez du travail, il ennuie et finit par écœurer.
 
Et cette nuit je trouve dans un tiroir les premières esquisses de ce travail : une pièce en un acte[2] il y a dix-neuf ans – écrite à Berlin, à l’époque je ne parlais bien ni hongrois, ni allemand – et quelques feuillets arrachés à un bloc-notes il y a huit ans, datées de Londres. Les deux fragments tournent autour du même thème : la matière de mon livre, matière que je couche maintenant enfin sur le papier après dix-neuf ans dans un cas et huit dans l’autre de préparation et de temporisation. Ces notes et essais étaient complètement oubliés pendant le travail ; au moment de l’exécution le thème me semblait tout neuf, il m’a emballé, fasciné ; maintenant je vois que je m'étais déjà mis minutieusement à cette matière il y a dix-neuf ans et que je m’étais fait des notes là-dessus il y a huit ans, pourtant je reculais alors sans cesse devant parce que je n’étais pas sûr de mon affaire. Jusqu’à ce que, après vingt ans de délai de démarrage, un jour, quand l’incubation a été terminée, j’ai commencé à écrire dans une sorte d’acte forcé. L’incubation, le temps de maturation ne se laisse pas raccourcir. L’écrivain ne pouvait pas écrire son œuvre un seul jour avant que le thème soit complètement arrivé à maturité. Un être humain nécessite neuf mois, un éléphant un an et demi, un livre demande parfois vingt ou quarante ans. Il ne faut pas, on ne peut d’ailleurs pas se hâter, il faut attendre, être à l’affut. Le livre se développe en nous.

1. Vraisemblablement "La conversation de Bolzano"
2.  Peut-être "Männer", pièce écrite en allemand

Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

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