vendredi 30 mars 2012

jeudi 29 mars 2012

Aventure

Tu vis, soudain l’aventure te saute dessus. Qu’est-ce que c’est que cette aventure ? Tu ne viens pas de connaître quelqu’un, aucune joie bon marché, insignifiante ne t’a souri, tu es seul. Et pourtant il se passe quelque chose autour de toi. La vie devient, à quatre heures brusquement excitante et dangereuse. Toutes sortes de signes indiquent que le quotidien prend son sens. Une porte s’ouvre comme si le messager du destin avait appuyé sur le bec de canne. Comme la lame de l’assassin, le rayon de soleil t’atteint au cœur. Tu épies, tu flaires. Qu’est-ce que peut être l’aventure qui a surgi dans cette existence lourde, ensommeillée ? Alors tout d’un coup tu comprends et blêmis.
Tu as compris que tu vivais. C’est cela l’unique aventure.
Extrait de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

lundi 19 mars 2012

Joie

Ce n’est pas vrai qu’écrire n’est que lutte et combat, que cheminement dans les déserts ou les champs de neige des feuilles du manuscrit – il y a des jours et des semaines où écrire donne de la joie, où les formidables forces avec lesquelles tu luttes, te sont service, t’élèvent la vie et le travail, te soustraient à la loi de la pesanteur, il y a des jours où c’est un sentiment de bonheur d’écrire, où tu donnes des ailes à cet élément secret, où tu avances avec légèreté dans l’élément de la forme et de la pensée ! Mais comme ils sont rares ces jours-là, ce bref instant. Et incontestablement ce n’est pas non plus au moment le plus approprié pour le travail ! Les jours où le travail est joie sont pleins de modestie. Ce n’est pas là que tu écris héroïquement. Dans ces moments là l’écrivain ne travaille qu’humblement, penché sur les feuilles du manuscrit au lever du jour, plein de gratitude à la fois pour ce don incompréhensible et cette grâce divine, qui ne lui est pas complètement intelligible et qu’intérieurement il va même jusqu’à un peu mépriser.
Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

lundi 12 mars 2012

Printemps

Les narcisses, oui. La primevère, l’odorant pois de senteur, le muguet.
Mais je n’oublie pas le jeune oignon, le radis et l’épinard frais. N’oublie pas que les forces qui, comme par magie, poussent ces merveilleuses créations, agissent aussi sur toi, sur les hommes. C’est le printemps et donc il se produit quelque chose. Cela se passe à vue d’œil de manière si manifeste. Le visage de la terre se modifie de jour en jour, les bois mettent leurs bougies vertes, les champs commencent à gonfler, vert et jaune. Ne penses-tu pas que la force qui métamorphose si complètement la nature, qui traverse les arbres, les champs, l’eau, que cette force ne traverse pas aussi ton corps, ton âme, ne te transforme pas, ne nourrit pas et ne tue pas quelque chose en toi ? Vis, justement au printemps, pleinement conscient et vigilant.

Extrait de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

dimanche 4 mars 2012

La conversation de Bolzano au théâtre

Rappel pour les parisiens

"La Conversation de Bolzano" sera jouée à Paris au Théâtre de l'Atalante, 10, place Charles Dullin - 75018 Paris à partir du 30 mars 2012.


Mise en scène de Jean-Louis THAMIN
du vendredi 30 mars au jeudi 19 avril, relâche le mardi

http://theatre-latalante.com/site/La_Conversation_de_Bolzano.html

Vous pouvez réserver dès à présent au 01 46 06 11 90.

Je ne veux plus "écrire" de "romans"

J’ai achevé « La sœur ». Et je crois que j’ai aussi terminé ma carrière de « romancier » … en tout cas je l’ai achevée dans le sens où j’ai pratiqué ce genre ces dernières années.
Je ne veux plus « écrire » de « romans »*. Je veux seulement écrire, comme me le dictent la grâce de Dieu et mon humeur aussi longtemps que je peux, sans me contraindre aux limites définies du genre. Amen  

Extraits du journal de l'année 1945, d'après la traduction allemande de Clemens Prinz
(Sándor Márai, Unzeitgemäße Gedanken, Tagebücher 2, 1945 / Piper Verlag, 2009) 
* Après cette mention dans son journal (vraisemblablement mi-avril 1945) Sándor Márai écrira essentiellement "pour le tiroir" et ne produira plus que quelques romans (Paix à Ithaque, Le miracle de San Gennaro, Libération - posthume - et un roman policier dont il parle dans son journal de 1985 ) tout en rassemblant des parutions antérieures.

jeudi 1 mars 2012

Une préfiguration de "Libération" dans le journal de 1945

Un matériau extraordinaire entre les mains d'un touche-à-tout du théâtre : sous le titre "Abri anti-aérien" décrire un siège pendant lequel dans la cave d’un immeuble de rapport d’une ville détruite, dépeuplée, des gens « éduqués » oublient toute forme d’éducation à la  première explosion de grenade et deviennent semblables à des animaux, pire que des bêtes, n’apprennent rien, n’oublient rien, et quand le premier soldat ennemi pénètre dans la cave et qu’ils sont « libérés » du cauchemar du siège, ils recommencent à zéro la comédie mensongère de la « culture ».

Extraits du journal de l'année 1945 d'après la traduction allemande de Clemens Prinz
(Sándor Márai, Unzeitgemäße Gedanken, Tagebücher 2, 1945 / Piper Verlag, 2009)